jeudi 6 novembre 2014

Juifs français, français juifs

     Beaucoup de pensées s'entremêlent ses derniers jours, c'est un peu une constante chez moi, les mains travaillent et transforment la matière et les pensées tournoient. En Israël, ce sont les attaques terroristes répétées à Jérusalem. Il faut comprendre que cela fait déjà plusieurs mois que des pierres, des coktails molotov et autres pétards sont lancés sur des juifs, que le tramway et des voitures particuilères sont quotidiennement attaqués, essentiellement dans les quartiers où juifs et arabes vivent juxtaposés. Et l'escalade ne s'arrête pas, hier deux attentats. Cette même journée d'hier qui commémorait le jour de l'assassinat d'Isthak Rabin, 19 ans, déjà, et depuis rien voire pire.
Et hier aussi, je découvre sur akadem la retransmission du colloque consacré à mon grand-père, Jacques Lazarus, (à voir sur ce lien : http://akadem.org/sommaire/themes/histoire/shoah/la-resistance-juive/jacques-lazarus-du-maquis-a-l-algerie-28-10-2014-64166_97.php), le regarder et écouter les témoignages m'a beaucoup ému. Il nous manque.

    A la fin du colloque, l'historien André Kaspi a résumé son identité en ces termes, disant qu'il incarnait une certaine catégorie de juifs français "ce n'est pas parcequ'ils sont français qu'ils doivent oublier d'être juif et ce n'est pas parcequ'ils sont juifs qu'ils doivent oublier d'être français". Je trouve cette définition admirable, synthèse extrêmement pertinente de ce qu'il pensait. Car mon grand-père a été élevé dans une famille juive alsacienne, a servi dans l'armée française puis radié parceque juif. Lorsqu'il décide d'entrer en Résistance, il choisit la Résistance Juive, l'Armée Juive qui était aussi une organisation sioniste. Comme le dit Kaspi, les noyaux de Résistance étaient très diversifiés, il aurait pu être avec les FFI, comme a choisit sa soeur, Denise Ducas. Denise était aussi résistante, elle avait le rôle de "boite aux lettres". Arrêtée en aout 44, elle a été torturée jusqu'à la libération de Saint-Etienne par les FFI. Il aurait pu choisir un mouvement juif mais non sioniste également.

      Depuis que j'ai moi même décidé de vivre en Israël, je me suis toujours demandée pourquoi lui, si sioniste n'avait jamais fait ce pas, lui qui a justement vécu le statut des juifs en France. Je pense que ma grand-mère aurait été heureuse d'y vivre. De très nombreux camarades de Résistance sont partis après la guerre, mais pas lui, non, il est resté profondément fidèle à la France et aux communautés de diaspora juives en Algérie puis à Paris. Je me rappellerai toujours ce jour d'août 2011, où je vins dire un au-revoir à mes grands-parents avant de m'envoler pour Israël. Je l'ai rencontré à l'entrée du square, marchant avec son déambulateur, faisant sa promenade quotidienne malgré le mauvais temps. Je lui dit que dans quelques jours, je partais pour Israël, et là il me répondis, avec un air affirmé, "tu as raison, tu as tout à fait raison". C'était certainement un avenir qu'il considérait comme bon pour moi mais qui ne lui correspondait pas. Je suis partie sur une intuition, dans mon adolescence, j'ai construit mon identité française et juive. Mais j'avais l'intime conviction que le moment venu, lorsque la vague de l'antisémitisme reviendra, ils oublieront que nous sommes français, et nous rappellerons que nous sommes juifs. Je suis triste aujourd'hui d'avoir eu raison. Encore plus triste et bouleversée d'apprendre, hier (encore hier), que mon frère fait parti maintenant d'un programme de parents d'élèves pour protéger les enfants scolarisés dans les écoles juives. Le quotidien reprend toujours le dessus pour nous, mais Toulouse en mars 2012 a bien eu lieu, dans une école. Là, on comprend que nos enfants ne sont pas en sécurité, en France, alors les parents prennent la responsabilité de les protéger...