mardi 25 août 2015

Cinq ans

Un an en Israël s'est transformé en cinq, déjà...

       Le 25 août 2010, après une formation de deux ans en bijouterie, c'était une envolée vers de nouveaux défis, un nouvel inconnu, pas absolument sûre de mon choix il faut bien l'admettre, mais une intuition profonde, l'envie d'un avenir meilleur, pour moi et pour mes enfants qui ne sont pas encore nés.

      Le 25 août 2015, c'est une journée de travail routinière dans l'entreprise de bijouterie où je travaille depuis trois ans et demi, un concert de jazz en hommage à Yedidia Admor, un compositeur israélien qui m'était encore inconnu cinq minutes avant le concert. Parce que parfois quand on ne veut pas rester seul chez soi, on sort vers l'inconnu, prêt à toute surprise et éventualité. Une éventuelle proposition de shidduch (chouette !). L'envie de rejouer de la flûte. L'achat d'un nouveau lit pour remplacer celui acheté d'occasion il y a quatre ans, pour embellir aussi mon studio dans lequel j'ai appris à prendre mes repères mais que je peux devoir quitter avec un mois de préavis parce que le propriétaire veut faire de gros travaux.

La langue est apprise et comprise, la culture commence à rentrer aussi. Au début, je me faisais avoir sans le savoir, après je me suis rendue compte que je me faisais avoir, maintenant non seulement je le sais mais je ne me laisse plus faire et crie plus fort, enfin, pas encore toujours faut l'avouer quand même, c'est pas si simple.

Toujours être payé des clopinettes, c'est à dire moins que le SMIC horaire en France, mais avoir réussi par ma détermination à faire fléchir mon patron au cours de la première vraie négociation de ma vie pour qu'il accède à ma demande d'augmentation et de temps partiel. S'installer dans un espace atelier dédié à mon travail et mes créations en dehors de la maison. Etre exposée dans une boutique de design hyérosolomitain.

Déménager deux fois, toujours à Jérusalem, (pourquoi Jérusalem, d'ailleurs, je n'ai toujours pas de réponse à cette question). Ce n'est pas beaucoup deux fois, finalement, mais ce n'est que maintenant que je commence à ne plus me sentir étrangère à ces lieux. Apprivoiser cet environnement, ces pierres, cela me prend du temps, beaucoup de temps. Cette sensation de bien être quand je rentrais chez moi à Paris, quand je reconnaissais les moindres recoins du trajet à mesure que je m'approchais de la maison, elle, elle n'est pas encore là.

Cinq ans d'Alyah, c'est la difficile aventure sociale, j'ai été accueilli par la famille, j'ai renoué les liens avec ma sœur, j'ai vu naître deux neveux sabras, mais j'ai mis du temps à trouver des amis, ils se comptent sur le doigt d'une main.

C'est aussi le début de l'apprentissage de l'arabe parlé, c'est une des choses que je me suis promise en arrivant ici. Après l'apprentissage de l'hébreu, j'apprendrai l'arabe (l'autre c'est de traduire le livre de mon grand-père en hébreu). Etre à l'affut de tout ce que Jérusalem peut offrir comme évènement d'art contemporain (et il y en a de plus en plus).

C'est les allers-retours à Paris, essayer de jongler entre les rendez-vous avec les grand-parents, les amis, les neveux, les cousins, essayer de faire que chaque minute avec eux compte et de pouvoir les voir tous. Répondre à la question "pourquoi tu es partie ?" et devoir dire "au-revoir". Dire au-revoir à mes grand-parents en pensant à chaque fois que c'est peut être la dernière fois. Pendant ces cinq ans, j'ai perdu ma grand-mère, puis mon grand-père.

Venir spécialement pour fêter les mariages des amies en faisant le grand écart avec ma religion parce que l'amitié ici bas est plus forte, ou devoir leur dire que je ne serais pas là pour fêter ça.

Fêter de nombreux mariages, naissances et bar-mitsvot en Israël alors que je suis une lointaine cousine qui ne connaît pas encore toute ma grand famille.

Voir la France sombrer petit à petit, victime du terrorisme islamique, qu'il faut nommer. Les terroristes islamistes ont commencé par tuer des militaires, puis des juifs, des figures de la liberté d'expression, des policiers, puis ont ciblé des Eglises (attentat déjoué). Maintenant, tous les remparts sont détruits, c'est le monsieur tout le monde qui est visé.

Se poser la question, où je vais passer shabat quand mes parents sont en France, être souvent seule les vendredis soir et/ou samedi midi mais recevoir trois invitations la même semaine et devoir dire non à deux d'entre elles. Apprendre à appeler pour se faire inviter, apprendre à ne jamais avoir de rendez-vous fixé de façon ferme plus de deux heures en avance, car on comprend finalement que oui, tout peut arriver ici et que c'est difficile de planifier. 

Apprendre à prendre du recul, même quand on se fait cambrioler, à se demander quand c'est la guerre où est l'abri le plus proche.

Aller à l'enterrement de son cousin, Shalom Yohaï Cherki, 26ans, fils du cousin germain de ma mère, assassiné dans un attentat à la voiture bélier le soir de yom hashoah, le 15 avril 2015. Et être meurtrie au plus profond de son être en écoutant son père et ses frères. Puis aller aux cours en sa mémoire même si je ne le connaissais pas personnellement. Je ne pense pas que quoi que ce soit puisse réconforter une telle souffrance.

Il y a cinq ans, penser naïvement que chaque attentat, chaque mort sera le dernier puis finir par intégrer l'idée qu'il y en aura d'autres inévitablement. Comprendre alors le sentiment des israéliens de vouloir habiter ailleurs et ne plus s'étonner de leur réflexion (un peu schématisée pour l'occasion) "mais qu'est ce que tu es venue faire ici, je n'ai qu'un rêve c'est de partir". Comprendre que si on ne vit pas ici, on ne peut pas comprendre ce que cela veut dire (c'est comme être parent, pas possible de comprendre sans le vivre).

Aller voter, deux fois. Entendre la démocratie israélienne, les combats des éthiopiens contre le racisme, des homosexuels pour leur droits, des yémenites pour la reconnaissance de l'état sur sa responsabilité dans l'enlèvement de leurs enfants, les inégalités, les fossés qui séparent les haredims du reste de la population. Entendre aussi la solidarité des gens car tout n'est pas noire non plus. Comprendre qu'une vision politique européenne occidentale ne peut peut être pas s'appliquer au Moyen-Orient où culture et religion sont autres.  

Plus j'écris, plus j'ai des ressentis à partager mais ce post déjà bien long serait interminable alors je termine en me demandant quoi me souhaiter pour les cinq prochaines années ? Aller, me sentir chez moi et fonder un foyer ici, en Israël.

vendredi 14 août 2015

Ouria Tadmor, photographe de rue

             Ouria Tadmor, photographe de rue habite et travaille à Jérusalem. Il travaille pour la presse et mène des projets personnels en parallèle. J'ai découvert son travail il y a peu au détour d'une exposition à Jérusalem, le festival "Toolbox" au cours duquel il présentait son premier livre de photographie : "Transit Jerusalem".


Extrait de "Transit Jerusalem"
       
   

       J'ai été tout de suite émue par ses photos. Il est vrai que le sujet lui même me touche particulièrement me déplaçant uniquement à pieds ou en transport en communs à Jérusalem, mais ce n'est pas seulement pour cela. Les photos d'Ouria Tadmor sont empreintes d'humanité et de questionnements. La sincérité de son travail monumental bouleverse. Pour une petite cinquantaine de photo présentées dans le livre, Ouria avait à choisir parmi 2 000 clichés qu'il a pris pendant 6 ans. Six ans à arpenter les stations, voyager et photographier dans les bus ou les tramway.

Ce sont des moments pris dans l'instant, l’œil du photographe accroche un regard, un mouvement de bus, une attitude. Ces nombreux éléments et effets visuels rythment ses photos. Les contrastes flous/nets, les lignes qui s'entrecroisent mais qui sont parfaitement droites, les jeux de réflexions des personnages, à travers les vitres et les miroirs, sont si bien orchestrés qu'on se laisse porter sans chercher à les comprendre. Car c'est finalement ainsi qu'il faut regarder les photos d'Ouria Tadmor, se laisser porter et se balader dans ses photos qui réservent des découvertes et étonnements qui ne peuvent être décelés au premier coup d’œil. L'artiste nous entraîne dans sa photo et c'est en s'y plongeant un long instant que l'on découvre peu à peu toutes ses surprises.

La démarche d'Ouria c'est de photographier Jérusalem dans sa simplicité, dans sa routine, dans sa banalité. Capter les hiérosolomytains dans leur quotidien, leurs courses au marché, leurs trajets vers leurs lieu de travail...Il recherche ainsi l'anti-exceptionnel devant l'exceptionnel de cette ville. Une question se pose alors, quelle est l'influence de la ville sur ses habitants ? Ces regards, ces attitudes, ces personnages auraient-ils été différents s'ils avaient habité dans une autre ville ? Ce qui m'a amené à me poser cette question à laquelle je n'avais jusqu'à présent pas répondu, pourquoi est ce que j'habite à Jérusalem ?...

Ouria explique également qu'il se tient à distance du conflit qui pèse sur la ville, qu'il ne veut pas le voir, ne pas l'entendre, ne veut pas le photographier. Mais il est difficile d'y échapper...Il me semble que "le conflit" le rattrape malgré lui. Le choix du tramway n'est pas anodin, il est un axe qui traverse et qui s'arrête dans des quartiers juifs et arabe et on y retrouve toutes les couleurs de Jérusalem. Mais il me semble que même si ce n'est pas le but de son livre, tous ces efforts pour fermer les yeux sont vains, c'est bien Jérusalem qu'il a photographié, ses habitants, leurs diversités et leurs oppositions.

*Festival Tools box, rouah hadacha...les jeunes de Jérusalem construisent Jérusalem. Leur site web, cliquez ici